The American Dissident: Literature, Democracy & Dissidence


Ecrits sur l'hypocrisie des poètes

1. "Au Québec la poésie fout le camp… comme ailleurs d'ailleurs." Cet article a été publié dans Le Québécois, journal indépendantiste, en juillet 2002. C'est un j'accuse écrit contre les poètes québécois genre bouche cousue qui se proclament néanmoins indépendantistes.


2. "Les Assassins de la littérature." Petit essai critique du Festival international de la littérature (FIL) et de ses organisateurs envoyé (sans aucune réponse) au Devoir (mai 2003).


3. "Les Intellectuelles, pour la plupart, ne sont que des lâches." Petit essai critique envoyé (sans aucune réponse) au Devoir (juin 2003) pour sa série "intellos."


1.  Au Québec la poésie fout le camp… comme ailleurs d'ailleurs

Je suis certain que chaque cinéaste, intellectuel, écrivain, sait très bien de quoi ne pas parler s'il veut survivre.
            —Pierre Falardeau

 

Leo FerreLa poésie jouit d'une tradition d'arme de lutte évidemment devenue plutôt démodée aujourd'hui dans notre petit coin du monde là où le fléau du vedettariat prime sur tout, y compris sur la vérité. Les poètes tels Lorca, Villon et Saro-Wiwa ont su utiliser leurs épées. Mais aujourd'hui que font les poètes ? Il n'y a que des vedettes et lèches-culs… du moins c'est ce que j'ai pu témoigner comme poète invité cette année au grand Festival International de la Poésie à Trois-Rivières. Pourquoi les poètes québécois ont-ils choisi de ne pas critiquer leur grosse Machine Corporatiste Universitaire/Littéraire ? C'est le silence total ! Pourquoi les poètes préfèrent-ils les subventions, contrats de recueils, relations douteuses et réinvitations aux Festivals… à la vérité ? N'est-ce pas se comporter cent pour cent contre la fibre même de ce que doit être poète ? Sur les 150 invités au Festival de Trois-Rivières, j'étais le seul à oser critiquer ouvertement les gérants du Festival si concernés des retombées économiques, et les poètes invités également si concernés des retombées. Pour cela, j'ai été largement applaudi par les poètes plutôt jeunes non invités et éventuellement entièrement rejeté par les gérants et poètes invités plutôt à l'aise dans leur rôle de rouages de la Machine. Ce sont ces derniers qui doivent assumer la responsabilité pour l'état de la poésie présent comme étant molle, safe, ésotérique, et sans couilles. Qui sont ces poètes ? Ce sont les mêmes poètes qui assistent au Festival d'année en année y compris Yves Préfontaine, Claude Beausoleil, Roger des Roches, Christine Bertrand, Denise Brassard, Tony Tremblay, Bernard Pozier, Yves Boisvert, Réjean Bonenfant, et tant d'autres. Les nommer constitue un sacrilège surtout s'ils sont indépendantistes. Mais combien de ces poètes se cachent derrière et surtout en profitent de leur appartenance au mouvement indépendantiste ? Et quelle corruption on peut facilement cacher derrière cette bannière ! Mais il est plus qu'évident que le Festival de T-R en se déclarant tout à fait neutre (il suffit de jeter un coup d'œil sur les diverses pancartes-poèmes mises partout dans la ville !) est une manifestation tout à fait anti-indépendantiste. Pourquoi donc des poètes indépendantistes comme Préfontaine et Bosivert y participent sans rien dire ? Tenez, voici vos chèques… et n'oubliez pas de porter vos muselières !


La soirée finale du Festival au Zénob, on m'a carrément coupé la parole car on m'a accusé d'impolitesse et non pas de violence. Et l'impolitesse comme vous savez bien c'est souvent synonyme de la franchise. Etre poli ou être franc, n'est-ce pas cela la question ? Et être franc n'est-ce pas cela être poète ? Ben, pour les poètes vedettes, au contraire, c'est plutôt être poli à tout prix qui compte. On m'a accusé d'avoir bu. Mais le Zénob n'est-il pas un maudit bar quand-même ? Aucun poète présent n'est venu à me défendre, c'est-à-dire à défendre le droit à la parole. Au contraire, c'était le silence total. Evidemment, on ne me réinvite plus au grand Festival. Mais ça m'est égal. Ce qui m'importe c'est la vérité et la vérité c'est que trop de poètes au Québec préfèrent être putains de service que poètes. Il y en avait qui m'ont même félicité comme Tony Tremblay (« Tod, tu es la découverte du Festival cette année ! »), Denise Brassard, Yves Boisvert, et Réjean Bonenfant, puis après le Festival c'est le silence total ! Chacun d'entre eux le sait « très bien de quoi ne pas parler s'il veut survivre. » Et Falardeau sait très bien aussi, mais lui du moins choisit la vérité et non pas la survie à tout prix. Sur plus de 50 maisons d'éditions et revues littéraires au Québec que j'ai contactées cette année, deux seulement s'intéressaient à mon j'accuse. Ce sont Steak Haché et les Editions les Intouchables, et je les remercie énormément car elles représentent une lueur dans la grande noirceur de la Machine. Pour les autres, aucun intérêt ! Pourquoi ? Même pas de curiosité ! Pourquoi ? Que c'est sombre ! En cherchant les noms et adresses de ces éditeurs, j'ai pu découvrir que l'inceste qui existe dans l'édition québécoise est alarmante. Par exemple, Gaston Bellemare, organisateur du grand Festival lui seul est connectés, entre autres, à Exit, Estuaire, L'Arcade, Lèvres urbaines, Art le Sabord et sans doute au Nouvelliste. Quelqu'un comme Réjean Bonenfant a les pattes un peu partout aussi et en est très fier : « Pour ma part, et je te dis cela en toute humilité, je participe 2 ou 3 fois par année au Sabord, 4 fois par année aux Soirs Rouges, maintenant à chacun des numéros de Liaison, une dizaine de fois par année sur le site Internet Rabaska, une fois par année à Estuaire ainsi qu'à Moëbius. Je sais que c'est beaucoup. Je ne soumets plus de textes, on me les demande. » Evidemment, critiquer un Bellemare ou un Bonenfant au Québec (ou un Pozier ou un Beausoleil), comme je l'ai fait, c'est fort risquer d'être mis sur liste noire littéraire et assurer sa mort comme poète. Pour soutenir mon argument, je cite la poétesse et l'animatrice de Radio-Canada, Christine Germain, qui m'a écrit : « Important pour moi de te dire que je ne suis absolument pas d'accord avec l'attitude du Festival de Poésie, le dernier jour à Trois-Rivières. A la limite, ils ont répondu dans les cordes de ce que ton discours pointait : muselage de poésie, de paroles, de prise de position. C'est ridicule à souhait. So stupid ! Je crois d'une certaine façon qu'il y a aussi muselage de public : infantilisation. Un public est majeur et vacciné, il est en mesure de réagir par lui-même lorsqu'on l'interpelle. Bref, très heureuse d'avoir croisé ton chemin. »


Moé parano ? Dis donc ! N'est-il pas grand temps que les poètes vedettes du Québec et ailleurs cessent de faire les guignols-guidounes de service et trouvent le courage une fois pour toutes de parler franc et ouvertement ? Qu'ils critiquent la Machine de la poésie qui cherche à castrer le genre au profit du statu quo, c'est-à-dire de ceux qui ne pensent qu'aux retombées économiques et à un Québec non indépendant ! Le poète doit être par-dessus tout partisan et porte-parole de la vérité à n'importe quel prix, même au prix de l'ostracisme littéraire ! Si un poète refuse ce rôle, comme le font les invités au Festival, il n'est pas pantoute poète mais seulement écrivain-vendeur de vers. Si les politicards continuent à avoir mainmise sur la poésie comme ils semblent avoir à Trois-Rivières, la poésie deviendra de plus en plus ennuyeuse, anodine, douceâtre et autrement apte à produire, à part les effets soporifiques à la Prozac, des retombées économiques. Quand la poésie égale piasses à faire, c'est la mort de la poésie ! C'est la perversion complète du genre ! Enfin, quelle revue littéraire au Québec publierait-elle cet écrit ? Surtout pas Nuit Blanche, Magazine Littéraire, Exit, Lèvres urbaines, Art le Sabord, L'Arcade, Moebius, Soirs rouges, ni Estuaire ! En fait, même pas Le Couac s'y intéresse. Et c'est cela qui est honteux : la peur et le rejet absolu de la critique quand celle-ci leur concerne. « La poésie fout l'camp Villon ! y'a qu'du néant sous du néon… » a écrit Ferré. Et « bout de tabarnak, de saint-chrême, de bâtard, de calvaire, de crisse!* » qu'est-ce qu'il a raison !
*phrase empruntée de Pierre Falardeau

 

2.  Les Assassins de la littérature

Un soir, on verra une comédienne dévorant sa serviette sanitaire en public. On en est là. Ne plus savoir quoi faire pour attirer coûte que coûte les gens « au théiiiâtre ». Et « à la littééééératour » -pas mieux fréquentée- jusqu'où n'ira-t-on pas
            —Claude Jasmin, Poing comme net

Tout ce qu'il faut c'est un brin de réfléchissement… bien que dissident et carrément hérétique pour voir que le Festival international de la littérature (le FIL), comme n'importe quel autre festival, représente un grand non à la pensée critique alors qu'un grand oui aux commanditaires et vedettes écrivains vendus ! En effet, comme n'importe quel autre festival au Québec, ce sont les piasses qui priment. Au FIL, ce sont les piasses qui ont raison sur tout autre chose y compris la soi-disant raison d'être même du festival, c'est-à-dire de la littérature. Le FIL se réduit inévitablement à une agora pervertie par le hype, l'auto-félicitation, l'auto-promotion, l'élévation des amis par amis, le piston et la grotesque déférence aux pouvoirs qui réussissent à supplanter la littérature elle-même. Et quand il s'agit de la littérature, quel genre au juste est-ce qu'on y promeut sinon celle qui ne dérange surtout pas, celle qui ne met rien en question, et celle qui respecte, plus ou moins, le statu quo de l'inanité et du superflu qui assaille et emprisonne la populace dans « les préceptes et la servitude » pour en citer Raymond Lévesque ?
Au FIL, il est surtout question de ne pas critiquer le festival ni l'Union des écrivaines et des écrivains québécois qui l'organise… bien que toute une tradition de littérature contestataire soit reniée par ce fait sous-entendu. Or, pour la santé de la société elle-même, il faut absolument critiquer ce genre de festival, les organisateurs, les écrivains de service invités qui ne servent qu'à plaire aux admirateurs bébêtes, ainsi que le tout-puissant leitmotiv de dieu piasse, omnipuissant chien gardien des oligarques. Ce genre de festival diminue pitoyablement la littérature en la soumettant à la police de la rectitude politique et en la convertissant en niaiseries safe, « acceptables » et surtout agréables au goût des grands-mères (pas toutes, heureusement !) et enfants en voie d'endoctrinement. Oui, « pour l'occasion, la littérature se danse, s'expose, se discute, se musicalise, se lit, s'anime dans le métro, s'internationalise et se multiculturalise » selon un journaliste cité par Le Devoir, alors qu'également pour l'occasion, elle ne gueule pas, ne critique pas et ne met absolument rien au défi !


Perversement, tout dans la société se voit en train de se réduire en rien qu'une face positive et heureuse… bien qu'assez triste car de nature évidemment fascisante. Ce sont les festivals, salons de bouquins, cachets, prix, et subsides gouvernementaux et commerciaux qui finissent par museler les écrivains, tuer la littérature et autrement soumettre ce secteur sous le réconfortant sourire du fascisme happy-face.

 

3.  Les Intellectuelles, pour la plupart, ne sont que des lâches

C'est mon expérience comme universitaire, rédacteur en chef et poète qui dicte que, pour la plupart, les intellectuels ne sont que des lâches intelligents et « intéressés » qui n'osent pas mordre la main qui les nourrit, soit celle des subsides gouvernementaux, celle de l'université, celle des salons de bouquins et/ou celle des festivals littéraires. C'est cela qui est pitoyable. C'est vrai, comme le professeur Lebel a remarqué, que les intellectuels devraient avoir comme but primaire la quête de la vérité. Or que c'est dommage quand cette quête se limite à tout ce qui se trouve loin de l'intellectuel, n'incluant quasiment jamais ce qui se trouve dans son propre jardin, sa propre maison d'édition, sa propre université, etc. C'est pitoyable car là aussi il faut chercher la vérité et exposer la corruption intellectuelle ou autre. A titre d'exemple, que c'est facile pour un intellectuel de décrier la guerre en Iraq (oui, c'est pourtant nécessaire), mais que c'est difficile de dénoncer le manque de liberté de la parole à un festival de la poésie quand on est poète invité et pas mal rémunéré (pourtant, cela aussi s'avère tout à fait nécessaire). Les forces de l'opportunisme ont tendance à rendre les intellectuels plutôt conformistes de troupeaux moutonneux polis et souriants. Tristement, ils n'osent que très rarement prendre des risques quand ces risques pourraient impliquer leur job, leurs cachets, leurs possibilités de se faire publier ou de se faire inviter. Les intellectuels sont aussi jaloux et contents quand l'un des leurs se trouve expulsé d'un événement ou refusé le droit à la parole. Oui, mon expérience dicte ces observations. A titre d'exemple, j'ai été renié le droit à la parole à un festival littéraire au Québec alors que les intellectuels présents ne se concernaient pas du tout. Les organisateurs de ce festival ne m'y inviteront plus jamais car j'ai osé les critiquer… et les intellectuels présents et autres s'en fichaient et s'en fichent. Malheureusement, ce n'est pas la recherche de la vérité qui guide la plupart des intellectuels « avant toute autre considération » selon le professeur Lebel. C'est plutôt les piasses, le vedettariat et la publication de nouveaux livres qui les guident. Oui, parfois c'est aussi une orthodoxie politique quelconque. Et là le professeur a raison qu'il doit y avoir inéluctablement de conflit entre une idéologie et la quête de la vérité. Quant au professeur Fournier, qui définit l'intellectuel comme ayant « acquis une certaine notoriété », il oublie de se demander par quel pacte Faustin on arrive à obtenir de telle notoriété.